
Alors, comment ça va chez Motorola ?
Et bien ça va bien. La marque est de retour sur le marché français depuis le début d’année. On est partis d’assez bas puisque c’est une marque qui est à la fois emblématique et connue du grand public mais qui a subi quelques déboires pendant quelques années. En France on était tombés assez bas, ce qui n’était pas le cas dans les autres zones géographiques puisque par exemple en Amérique latine ou en Amérique du Nord on reste une marque assez forte. En Amérique latine on est deuxième du marché en volume derrière Samsung.
Sur le marché américain on vient de passer numéro 3 en volume derrière Apple et Samsung. Donc l’idée de Motorola c’est de revenir sur le marché européen, de profiter des mouvements des différents constructeurs, notamment de Huawei qui sort petit à petit du marché, pour revenir sur le marché français. C’est pour ça qu’une équipe se reconstruit depuis le début de l’année.
Combien êtes-vous en France pour mener cette mission ?
En France on est à peu près une quinzaine. On monte à une petite vingtaine si on inclut d’autres personnes qui s’occupent du marché français mais qui ne sont pas forcément en France.
Nos produits sont bien positionnés, pertinents et crédibles.
La stratégie est française ou est-elle menée par l’Europe ?
Alors d’abord il y a une stratégie globale, notamment le fait que Motorola revient sur le marché européen, spécifiquement en Europe de l’Ouest. Les investissements ont d’abord été faits sur le marché italien il y a environ deux ans. Depuis moins d’un an on réinvestit sur les marchés français, allemand et espagnol. On a donc une stratégie européenne pour relancer les marchés de l’Europe de l’Ouest.
Puis il y a notre stratégie locale pilotée par nous-mêmes visant à dépoussiérer la marque, redorer le blason de cette marque emblématique et surtout revenir dans la distribution qui est l’un de nos enjeux majeurs. Lorsqu’on est arrivés on était distribués chez trois distributeurs. Aujourd’hui on est distribués chez 17 distributeurs dont 3 opérateurs. Donc ça a été un travail de longue haleine mais c’était aussi la première pierre à poser à l’édifice. Surtout on réinvestit dans la marque, on montre qu’on est là, que la marque reste emblématique. Surtout nos produits sont bien positionnés, pertinents et crédibles.
Comment expliquez-vous aujourd’hui qu’une marque aussi emblématique que Motorola se soit effondrée en une quinzaine d’années ? D’autant que Motorola était à la base une marque innovante ?
Quand on est arrivées avec Mathilde, il était important pour nous de comprendre où en était Motorola en France, de poser un diagnostic sur la marque. Parce qu’en effet, il y a eu les heures de gloire de Motorola à peu près dans les années 2000 où tout le monde était ultra-fier d’arborer un téléphone Motorola. Et puis la marque a été malmenée pour plusieurs raisons. D’abord le choix de ne pas partir sur un OS ouvert et de miser surtout sur l’innovation hardware ce qui n’était pas franchement la bonne idée quand on voit où en sont Android et iOS. Ensuite il y a eu un rachat de Google dans les années 2010. L’idée était d’associer le software au hardware. L’idée était bonne mais malheureusement ça n’a pas pris peut-être pour des raisons de timing ou de préparation.
Ensuite avec le rachat de Motorola par Lenovo, on a vu un vrai tournant. Lenovo est une marque de hardware très forte sur le PC. Lenovo est le leader mondial du PC et c’est aussi une marque très internationale. Avec le rachat d’IBM, Lenovo a un siège social aux Etats-unis (ancien siège d’IBM) et un siège social en Chine. Lenovo a aussi gardé le siège de Motorola à Chicago, ce qui fait qu’aujourd’hui chez Motorola il y a une vraie empreinte internationale. Lenovo a décidé de réinvestir massivement sur cette marque pour travailler ce levier de croissance.
Tout ceci explique le fait que Motorola a pris du retard. Mais ça explique aussi qu’on veut revenir en Europe depuis 2 ans. On a une porte qui s’est ouverte avec les modifications des acteurs du marché qui fait qu’on a une opportunité. C’est aussi pour ça qu’on revient à ce moment là.
Vous dites que Motorola a continué à marcher aux Etats-Unis et en Amérique Latine. Pourquoi pas en Europe alors ?
Alors pour les américains il y a non seulement un côté patriotique très fort mais il y a aussi une défiance sur la sécurisation des données que Motorola a réussi à palier. Historiquement, c’est la marque qui a gagné pas mal de contrats avec l’armée américaine. C’est Motorola qui a fourni les talkie-walkies, qui a continué à équiper les flottes, il y a un vrai historique entre Motorola et les Etats-Unis.
Pour l’Amérique Latine, la structure du marché est complètement différente. Il y a un ventre mou avec l’entrée et le milieu de gamme et les modèles premium beaucoup moins représentés. Du coup Motorola a une carte à jouer puisqu’on a des produits très bien placés en termes de positionnement specs/prix. Aujourd’hui, il n’y a que Samsung qui a aussi une offre pertinente. Mais ça ça date déjà d’il y a deux ans.
Motorola est une marque qui inspire confiance même si on doit encore lui retirer cette image un peu poussiéreuse.
Alors, comment vous allez faire en France pour vous positionner sur un marché ultra-concurrentiel avec plein d’acteurs qui sont récemment arrivés (Vivo, realme) ? Je pense aussi à Xiaomi qui inonde le marché sur les segments clés de Motorola.
En France, on fait les choses étape par étape. Le premier enjeu était de revenir dans la distribution, de convaincre nos clients (opérateurs et vendeurs spécialisés). C’est maintenant chose faite. Et ce qui nous a beaucoup aidé c’est que Motorola est une marque forte qui a un vrai affect auprès de son audience. Les gens nous connaissent, ce qui n’est pas le cas des nouveaux entrants. Motorola est aussi une marque qui inspire confiance même si on doit encore lui retirer cette image un peu poussiéreuse. Malgré cela, on a un capital sympathie qui est peu altéré aujourd’hui ce qui nous aide à revenir dans la distribution.
Quand on est arrivés, on a aussi mené une étude auprès d’une cible large de 18 à 45 ans. Il en est ressorti trois choses. D’abord la marque est connue. Le deuxième constat est que le slogan « Hello Moto » est aussi connu que la marque Motorola. Tous les investissements qui ont été faits dans la communication pendant les heures de gloire de la marque dans les années 2000 portent encore leurs fruits aujourd’hui sur le marché français.
Le troisième constat qu’on a fait c’est que le logo « M » est hyper singulier et crée un affect. Peu de constructeurs aujourd’hui ont un logo. Apple a sa Pomme, Xiaomi a un « Mi » et il y a nous. Donc forts de ces trois constats, on s’est dit « il faut qu’on arrive à travailler la communication autour du produit pour crédibiliser la marque parce qu’avoir une offre produit qui soit cohérente et fiable est le plus important ». Et puis on s’est dit qu’il fallait aussi communiquer en parallèle sur la marque pour redorer son blason, la dépoussiérer et surtout la remettre au goût du jour.
Donc tout ce que je dis là, c’est ultra-vrai pour des gens qui ont plus de 30 ans.
On a clairement un manque de notoriété chez les plus jeunes.
Et donc pour les plus jeunes ?
Dans le meilleur des cas, les répondants ont parlé du téléphone de leur père, des téléphones à clapet. Ça c’est dans le meilleur des cas parce qu’on a aussi eu « Motorola c’est des motoculteurs non ? » (rires). Donc oui, il y a clairement un manque de notoriété chez les plus jeunes.
Donc la stratégie se fait en deux temps. En plus de ce que je viens d’exposer, on a aussi des objectifs qui sont distincts sur des cibles. Par exemple sur des 18-25 ans on va plutôt travailler de la notoriété de manière assez simple du genre « Motorola fait des smartphones ». Et chez les 25 et plus on va plutôt envoyer le message « Motorola est de retour » et on a des produits hyper pertinents.
Pour toucher les plus jeunes on va aussi s’adresser à des médias plus jeunes, à des influenceurs plus jeunes, sur des réseaux sociaux utilisés par les plus jeunes. On va utiliser des canaux plus adaptés à des cibles jeunes avec des contenus plus adaptés. Par exemple on a travaillé avec Vice et on s’est rendu compte que cette stratégie fonctionne.
Donc petit à petit on progresse. Et on progresse tellement qu’en septembre on a multiplié les ventes par quatre sur des segments de prix compris entre 100 et 250 euros mais aussi avec une belle progression du Edge20 et du Edge20 Lite présentés fin août 2021. Alors oui c’est plus facile de multiplier par 4 quand tu pars de zéro. Mais depuis le début de l’année on est passés de 0,4% de part de marché à 2%. Sur un marché très dur à conquérir, surtout ces segments de prix, ces résultats sont hyper encourageants.
Le marché répond positivement au retour de Motorola.
Et donc, quels sont les objectifs de Motorola à court termes ?
Nous on se donne l’ambition de faire encore X2 sur l’année prochaine pour avoisiner les 4% de part de marché d’ici fin 2022, mais ça c’est un travail de longue haleine.
Du coup une des ambitions qu’on avait cette année c’était les Edge20 qui se positionnent sur des tarifs plus élevés. Là l’idée c’était d’être prêts pour la rentrée des classes et c’était un vrai challenge parce que ça ne correspondait pas au timing de Motorola Europe. On a donc été le premier pays à avoir lancé ces Edge20 en Europe. Sur un mois de ventes on est super contents, on a fait quasiment 25% de plus que ce qu’on escomptait. Donc le marché répond positivement au retour de Motorola.
Parlons un peu de prix. La nouvelle gamme Edge20 est positionnée d’après vous sur un bon rapport qualité-prix. Est-ce que c’est une réponse à la concurrence chinoise ? Est-ce que vous auriez opté pour ce positionnement s’il n’y avait pas une forte présence d’acteurs qui cassent les prix ?
Là encore c’est une question de timing. L’opportunité elle est maintenant. En 2021, il fallait être là. Le positionnement prix de ces trois produits était parfait par rapport à la concurrence. Le Edge20 Lite et le Edge20 pour nous ce sont les produits les plus pertinents pour revenir sur le marché français parce qu’il faut faire les choses étape par étape. L’idée n’est pas d’arriver comme un rouleau compresseur en disant « on va inonder le marché », ce n’est pas du tout notre stratégie.
On connaît bien les opérateurs, l’idée était donc d’être crédible. Il n’y a pas beaucoup de place donc en inondant on peut se retrouver avec de la place uniquement sur le web par exemple. Avant toute chose il faut donc savoir convaincre. Nous on s’est dit que l’offre la plus pertinente était de revenir avec ces deux modèles. D’ailleurs les premiers tests effectués par la presse tech sont bons.
De ce fait, peut-on parler d’un vrai retour de Motorola ?
J’espère. En tout cas on a une vision plus à long terme par rapport aux fois précédentes. On a une offre produit cohérente. On a la volonté avec l’équipe de Chicago d’avoir une continuité dans nos modèles, comme on peut le voir chez un Samsung ou un Xiaomi. On a une rationalisation de notre gamme avec les Moto E (produits d’entrée de gamme), les Moto G (en dessous de 300 euros), les Edge (nos haut de gamme entre 300 et 700 euros) et le Razr, notre modèle pliant sur lequel on travaille.
On est les seuls avec Samsung à savoir industrialiser un écran pliant.
Justement, ce Razr pliable. Pourquoi a-t-il fait pshit ?
Pour plusieurs raisons. La première c’est que le form factor surfait un peu trop sur le côté vintage de la marque et pas le côté innovant de la marque. Parce qu’il y avait cet affect avec l’ancien Razr. Le Razr 5G, malgré le fait qu’on est le deuxième à industrialiser un écran pliant, avait un design pas forcément adapté et une interface peut-être pas assez innovante.
Là, ce qu’on a vu avec le prochain modèle c’est qu’il y a une vraie rupture qui arrive pour revenir dans le game. De gros efforts sont faits sur les interfaces et les écrans et sur le matériel photo. Mais pour en savoir plus on se donne rendez-vous l’année prochaine autour d’avril-mai.
Pour finir, pourquoi un consommateur choisirait un smartphone Motorola plutôt qu’un modèle concurrent ?
Alors d’abord on a un très bon positionnement en termes de rapport qualité-prix. Aujourd’hui quand on achète un produit Motorola on a un produit qui tient la route en termes de design. Ensuite dans les critères d’achat sur ce segment de prix on a l’écran et là on a de très bons écrans avec par exemple un Edge20 cadencé à 144 Hz. On a aussi une bonne offre photo et un design ultra-fin.
La deuxième raison c’est que Motorola a ce capital sympathie, ce truc où tu te dis « soit je vais vers un nouvel entrant très connoté chinois soit je vais sur une marque américaine connue ».
On a une vraie distinction avec la marque Motorola.
Parce que cette défiance chinoise existe encore aujourd’hui malgré le travail fait par Huawei ou le succès de Xiaomi ?
Alors en toute honnêteté le contexte géopolitique international suite à la crise Covid nous a beaucoup aidés. Aujourd’hui la force de vente nous le dit : sur le terrain être américain est un atout. Et la communication autour de la marque rassure aussi.
Chez ceux qui connaissent Motorola, on a juste à s’appuyer sur le discours évoqué en début d’interview. Si on s’adresse aux plus jeunes, on dit « ok t’as Samsung et t’as Apple qui sont bien installés avec un historique très fort ». Donc mis à part ces deux acteurs, quand on regarde un Oppo, un Vivo, un realme etc. on joue tous à peu près dans la même cours en termes de parts de marché. Mais on a une vraie distinction avec la marque Motorola.
Propos recueillis le 6 octobre 2021.